Mardi 23 juin 2015 (mis à jour le 4 juillet 2015). Pour le cas des enfants nés par GPA, le test ADN permettrait une retranscription de la naissance dans l’état civil français?
Décision très attendue de la Cour de Cassation la semaine prochaine
La Cour de Cassation de Paris examine actuellement le cas de deux pères français ayant demandé la retranscription dans l’état civil français de l’acte de naissance de leur enfant né à l’étranger. La difficulté dans leur cas tient au fait que les pères sont homosexuels, que les deux enfants sont nés d’une mère porteuse en Russie alors que la GPA (gestation pour autrui) est interdite en France.
Les deux cas ne sont pas similaires, le premier pourvoi est celui de Dominique Boren, un père dont la justice avait refusé de transcrire l’enfant à l’état civil. L’autre a été déposé par le parquet car la justice avait accepté la transcription de l’acte de naissance de l’enfant. La question de la maternité ne sera pas traitée dans ces deux cas, mais il a été demandé à la Cour de cassation d’harmoniser ces décisions sur la question de la reconnaissance de la paternité biologique.
La Cour de Cassation a annoncé qu’elle se prononcerait le 3 juillet prochain quant à l’inscription sur les registres civils de ces deux enfants nés d’une GPA et pourrait faire jurisprudence. Leur décision est très attendue, au cœur d’un débat très animé entre les partisans et opposants à la GPA, à l’homoparentalité, mais aussi entre la Garde des Sceaux Christiane Taubira et les magistrats, entre Cour de Cassation et Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Que se passe t’il en cas de suspicion de GPA
Normalement, lorsqu’un enfant naît à l’étranger, sa filiation est enregistrée dans le pays de naissance par un acte de naissance, sur lequel figurent les noms du père et de la mère. Pour obtenir l’enregistrement en France de la naissance d’un enfant né à l’étranger, l’état civil demande la copie de l’acte de naissance, l’acte relatif à la reconnaissance souscrite par le père (pour les enfants nés hors mariage), l’administration peut également demander des documents supplémentaires selon le contexte.
En pratique, lorsqu’il y a suspicion de GPA, l’administration demande d’autres preuves de la gestation de l’enfant et oppose généralement une fin de non-recevoir aux parents de l’enfant.
Les motifs de la Cour de Cassation pour refuser de délivrer la nationalité française
Dans les rares cas où l’administration avait transcrit la naissance à l’état civil, la Cour de cassation a toujours refusé d’accéder d’accorder la nationalité française, au nom de « l’intérêt supérieur de l’enfant » et au motif que la technique de la GPA est prohibée en France par le code civil français (article 16-7).
Les gestations pour autrui pratiquées à l’étranger (même dans des pays où elle serait pleinement autorisée) relèvent d’une « fraude à la loi » et les hauts magistrats se sont opposés à ce que ces GPA puissent produire d’effets en France.
La circulaire qui oppose Christiane Taubira aux Magistrats de la Cour de cassation
Le 25 janvier 2013, une circulaire signée de la Direction des affaires civiles et du Sceau demandait aux magistrats (procureurs et greffiers en chef) de délivrer « un certificat de nationalité française (CNF) aux enfants nés à l’étranger de Français, lorsqu’il apparaît, avec suffisamment de vraisemblance, qu’il a été fait recours à une convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui. »
Le CNF doit donc être délivré « dès lors que le lien de filiation avec un Français résulte d’un acte d’état civil étranger probant au regard de l’article 47 du code civil, selon lequel « tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. »
A l’inverse, « face à un acte d’état civil étranger non probant, le greffier en chef du tribunal d’instance reste fondé, après consultation préalable du bureau de la nationalité, à refuser la délivrance d’un certificat de nationalité française.»
La circulaire précisait ensuite que le seul soupçon du recours à la convention de procréation ou de GPA ne peut suffire à opposer un refus aux demandes de CNF.
La circulaire a soulevé de nombreuses oppositions, certains y voyaient un moyen de contourner la loi française interdisant la GPA, les anti-«Mariage pour tous» affirmaient qu’elle ouvrait la voie à la légalisation de la GPA et de l’adoption par le conjoint homosexuel par la suite. Le syndicat FO-Magistrats avait également contesté la légalité de la circulaire. Christiane Taubira de défendre ses intentions en disant qu’au contraire la chancellerie faisait appliquer la loi de manière homogène : « un enfant est français si au moins l’un de ses parents est français ».
Condamnation de la CEDH : la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant sur l’intérêt général.
Or la France a été condamnée par la CEDH (Cour Européenne des Droits de l’Homme) par un arrêt du 26 juin 2014. Elle se prononçait sur le cas de deux enfants nés par GPA aux Etats-Unis. La cour a considéré que le refus d’inscrire ces enfants à l’état civil portait atteinte à leur identité au sein de la société française et au droit de l’enfant au respect de sa vie privée, garanti par l’article 8 de la CEDH.
Le 12 décembre 2014, le Conseil d’État a confirmé l’application de la circulaire en reprenant les motifs de la CEDH: « La seule circonstance qu’un enfant soit né à l’étranger dans le cadre d’un tel contrat, même s’il est nul et non avenu au regard du droit français, ne peut conduire à priver cet enfant de la nationalité française. Cet enfant y a droit, dès lors que sa filiation avec un Français est légalement établie à l’étranger, en vertu de l’article 18 du code civil et sous le contrôle de l’autorité judiciaire. Le refus de reconnaître la nationalité française porterait sinon une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée de l’enfant, garantie par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH). »
Un dossier GPA et test ADN qui embarrasse le gouvernement
Le dossier empoisonne le gouvernement qui n’a pas fait appel de cette décision. La position du Premier ministre Manuel Valls est que « la reconnaissance des enfants nés par GPA resterait interdite en France, malgré la condamnation par la CEDH » (en octobre 2014). François Hollande, pour sa part, déclarait « ne pas vouloir revenir sur l’interdiction de la GPA en France ».
Christiane Taubira se disait vendredi 19 juin dernier sur BFM TV favorable à l’inscription de ces enfants à l’état civil, car ils ne sont pas responsables de la manière dont ils ont été conçus.
Marisol Touraine déclarait sur BFMTV vendredi 3 juillet qu’elle était favorable à l’inscription des enfants également, mais qu’elle attendait la décision de la justice: « Je suis résolument hostile à la gestation pour autrui, qui est une marchandisation du corps des femmes, mais les enfants ne doivent pas payer pour cela. La GPA doit rester interdite et illégale, mais ces enfants ne peuvent être des fantômes de la République ».
Des familles se trouvent en quelque sorte bloquées entre ces deux décisions contraires.
Les enfants nés de GPA à l’étranger peuvent désormais obtenir un certificat de nationalité, mais pas d’état civil français, sans lequel le lien de paternité ne peut pas être prouvé. Ce qui est un véritable problème pour la vie quotidienne de la famille, l’autorité parentale est nécessaire pour emmener un enfant chez le médecin ou l’inscription à l’école …
C’était notamment le cas de Dominque Boren, qui a déposé ce recours auprès de la Cour de Cassassion. Interviewé par le Figaro, il raconte: « Pour rentrer en France, j’ai dû signer une déclaration disant que je n’avais pas eu recours à une GPA. Avec mon mari, nous nous sommes battus pour les droits élémentaires de mon fils soient reconnus. [..] Il a finalement obtenu un certificat de nationalité française en novembre 2013. Une demande de passeport est en cours à la préfecture. Le consulat français à Moscou a refusé la retranscription de son acte de naissance, sur les injonctions du ministère des Affaires étrangères. Le TGI de Nantes (où se situe le service central de l’état civil, NDLR) puis la cour d’appel de Rennes m’ont également opposé un refus. Cette inscription de mon fils dans l’ordre juridique français est essentielle pour moi car c’est la seule manière de reconnaître valablement la filiation. La refuser, c’est faire violence aux enfants nés de mère porteuse à l’étranger.»
GPA: un test ADN condition pour obtenir la reconnaissance de paternité
C’est la première fois que la Cour de Cassation va se prononcer depuis la condamnation de la France par la CEDH en juin dernier et le sujet est si complexe politiquement que juridiquement que la décision a été mise en délibéré au 3 juillet.
Durant son réquisitoire le 19 juin, le procureur général de la Cour de Cassation Jean-Claude Marin a recommandé d’autoriser l’inscription de l’acte de naissance des enfants à l’état civil français, non pas de manière « automatique » avec l’identité de la mère porteuse, mais sous celle du père biologique. L’acte de naissance serait ainsi « découpé » pour ne reconnaître que la filiation paternelle, mais à condition qu’un test de paternité soit réalisé.
Cette reconnaissance du lien au père biologique « suffirait à répondre à la condamnation de la CEDH ».
« Les enfants ne doivent pas pâtir des actions de leurs parents »
Ainsi a plaidé Me Patrice Spinosi, l’avocat du Défenseur des Droits, devant la Cour vendredi 19 juin. Il lui demandait de se conformer à l’avis de la CEDH.
Pour éviter que le débat ne se limite à la reconnaissance de la filiation paternelle, il a ajouté : « Ne fermez pas la porte aux mères d’intention » pour les couples hétérosexuels ayant eu recours à une GPA. Il considère que le test génétique de filiation serait une forme de discrimination en fondant l’inscription sur le lien du sang.
C’est pourquoi Dominique Boren expliquait au Figaro qu’il s’opposait fermement à cette solution du test ADN pour prouver sa paternité, tout en espérant que « cette prise de position prépare le terrain pour une reconnaissance sans conditions de la filiation… […] Car il faut trancher en fonction de l’intérêt de l’enfant. »
Et la PMA?
Le verdict était attendu le 3 juillet, d’autant plus que la PMA s’est invitée dans le débat suite au refus d’adoption mercredi 24 juin 2015 opposé par le Tribunal de Grande Instance de Cahors. Une femme (d’un couple lesbien) s’est vu refuser sa demande d’adoption de l’enfant de sa compagne né à l’étranger par procréation médicalement assistée (PMA). La Cour a considéré qu’il y avait une « fraude à la loi », puisque la PMA est interdite en France pour un couple de femmes.
Cette décision est surprenante pour trois raisons: parce que le parquet avait émis un avis favorable à cette adoption, parce que la Cour de cassation avait clarifié la loi Taubira le 22 septembre 2014. « Le recours à la PMA à l’étranger n’est pas « un obstacle » à l’adoption au sein d’un couple de femmes ». Depuis le mois de septembre, des nombreux tribunaux ont rendu des décisions favorables à ce type d’adoption homoparentale.
3 juillet 2015: la Cour de Cassation valide les inscriptions à l’état civil français
La haute juridiction française a donc cassé l’arrêt du 15 avril 2014 par la cour d’appel de Rennes, qui refusait d’inscrire sur le registre français le fils de Dominique Boren. « L’arrêt qui écartait la demande de transcription au seul motif que la naissance était l’aboutissement d’un processus comportant une convention de GPA est cassé », explique la Cour de cassation.
Le second pourvoi, formulé lui par le parquet général, est rejeté. La décision de la cour d’appel de Rennes du 16 décembre 2014, jugeant qu’il fallait inscrire l’identité d’un autre enfant à l’état civil, est donc validée.
La Cour de cassation précise que la question de la transcription de la filiation établie à l’étranger à l’égard de parents d’intention n’étant pas soulevée dans ces deux cas, elle ne s’est pas prononcée. Le procureur général Jean-Claude Marin avait demandé le 19 juin d’inscrire ces enfants à l’état civil à la condition qu’un test génétique établisse la filiation avec les pères car, selon lui, « la retranscription automatique de l’acte de naissance étranger sur l’acte civil français reviendrait à une reconnaissance automatique de la gestation pour autrui. » Ce que n’a pas retenu la Cour de cassation.
L’avocat du Défenseur des droits des pères, Patrice Spinosi, résume: « La question désormais est de savoir si la Cour de cassation retient le lien biologique comme condition à l’inscription à l’état civil. » Le nom du parent « d’intention », qui élève avec son ou sa conjoint(e) l’enfant, mais qui n’a pas de lien génétique avec celui-ci, pourrait dans ce cas ne pas figurer sur l’état civil de l’enfant, soulève encore l’avocat, selon qui « 60 à 70% des GPA concernent des parents hétérosexuels » ne pouvant avoir d’enfant. « Dans le cas d’accouchement sous X, le lien de filiation n’est jamais conditionné au lien du sang », avait fait valoir à l’audience Me Spinosi.
La garde des Sceaux Christiane Taubira a constaté que « ces décisions permettront d’améliorer la situation juridique » de ces enfants, le Premier ministre Manuel Valls a tenu à rappeler que « le recours à la GPA demeure un interdit absolu en France ».
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