Pourquoi la France est-elle le seul pays européen refusant à ses ressortissants d’accès libre aux tests ADN de paternité, alors que dans ses pays voisins en Europe, le test de paternité peut-être légalement effectué sur la base du consentement écrit de ses participants ? Cette question a été posée par M Joël Guerriau Sénateur UDI-UC de Loire Atlantique au Sénat (cf JO Sénat du 30/05/2013 – page 162).
La ministre de la Justice a précisé dans sa réponse du 12 décembre 2013 qu’il n’est pas envisagé de modifier le cadre juridique français de l’expertise génétique en matière de filiation. Les expertises ADN ayant pour objectif la recherche de paternité ne restent possibles en France que dans le cadre défini par l’article 16-11 du code civil. Le juge doit préalablement autoriser le test, puis recueillir le consentement exprès de chacun des participants préalablement. Enfin la loi stipule que le test doit être réalisé par des « experts agréés faisant l’objet d’un contrôle périodique par une commission spécialisée ».
Ce système – bien que décalé par rapport à ses partenaires européens – vise à empêcher les tests réalisés par curiosité personnelle sans prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. Christiane Taubira défend ce dispositif qui permet à la fois de s’assurer que chaque intéressé a bien donné son consentement libre & éclairé et qui permet de garantir la fiabilité des tests : «Il n’est donc pas envisagé de modifier le dispositif législatif actuel qui permet de ménager un juste équilibre entre le droit de faire établir en justice sa filiation biologique et le droit de chacun au respect de son intégrité corporelle et de sa vie privée ».
Expert ADN vous restitue l’intégralité de l’argumentaire du Sénateur ainsi que la réponse du gouvernement en date du 12 décembre 2013 (telle que publiée dans le JO Sénat du 12/12/2013 – page 3583).
La Question du Sénateur:
M. Joël Guerriau attire l’attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur les projets d’évolution de la législation française en matière d’expertises génétiques pour attester un lien de filiation paternelle. Il rappelle que la réglementation française impose que les expertises biologiques soient uniquement ordonnées par un juge. Cette recherche d’identité est régie par les articles 16-10, 11 et 12 du code civil qui précisent ainsi que les tests ADN réalisés dans le cadre soit d’une action tendant à l’établissement d’un lien de filiation, soit tendant à la contestation de ce lien, nécessitent le consentement préalable et exprès du père supposé. Si ce dernier refuse le prélèvement, le juge pourra alors interpréter ce refus comme un aveu de paternité. Il rappelle que tout test ADN réalisé en dehors de ce cadre juridique n’a aucune valeur juridique. De plus, l’analyse génétique doit être réalisée exclusivement dans l’un des laboratoires agrémentés. Avec à peine une quinzaine de laboratoires officiellement agréés, la France limite et encadre juridiquement la possibilité de tests ADN.
Or, la situation chez nos voisins européens et dans le reste du monde n’est pas la même.
- En Espagne, les tests ADN peuvent, en plus de la procédure judiciaire, être réalisés de manière totalement privée et confidentielle.
- Au Canada, des kits de tests sont mis à la disposition de tous.
- En Suisse, les tests sont autorisés hors procédure civile comme en Belgique et au Royaume-Uni, les personnes concernées ayant consenti par écrit.
Compte tenu d’un clientélisme frontalier, il souhaite savoir si un système qui respecterait tout autant le droit à la vie privée du père et des enfants tout en simplifiant les analyses génétiques par simple consentement écrit mutuel pourrait être envisagé.
En France, dans le domaine de la filiation seul l’état civil fait foi. Il demande si le Gouvernement envisage de réformer la loi nº 2011-267 du 14 mars 2011 notamment en assouplissant l’obligation du recours au juge.
La réponse du Ministère de la justice :
En l’état du droit, les expertises génétiques en matière de filiation ne sont possibles que dans le cadre juridique défini par les articles 16-11 et suivants du code civil. L’article 16-11 du code civil prévoit ainsi qu’« en matière civile, cette identification ne peut être recherchée qu’en exécution d’une mesure d’instruction ordonnée par le juge saisi d’une action tendant soit à l’établissement ou la contestation d’un lien de filiation, soit à l’obtention ou la suppression de subsides. » Les exigences relatives au consentement n’ont par ailleurs cessé d’être renforcées depuis la loi n° 2004-800 du 6 août 2004, relative à la bioéthique, le consentement de l’intéressé devant être préalablement et expressément recueilli y compris lorsque l’expertise est réalisée sur une personne décédée. L’article 16-12 du code civil précise en outre que « sont seules habilitées à procéder à des identifications par empreintes génétiques les personnes ayant fait l’objet d’un agrément dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État».
Ce dispositif, qui subordonne l’expertise à l’intervention d’un juge, se justifie, d’une part, par la nécessité de s’assurer du consentement libre et éclairé des intéressés, et d’éviter à cet égard tout risque de pressions ou d’atteinte à la vie privée, et, d’autre part, par le souhait de garantir la fiabilité des tests, ceux-ci ne pouvant être réalisés que par des experts agréés faisant l’objet d’un contrôle périodique par une commission spécialisée. À cet égard, il convient de relever que quatre-vingt-treize personnes physiques travaillant au sein de douze laboratoires, dont certains disposent de plusieurs unités géographiques, sont aujourd’hui agréées sur le territoire national.
Par ailleurs, le cadre juridique qui n’autorise ce type d’expertise qu’en cas d’action judiciaire permet d’éviter des expertises qui ne répondraient qu’à un souci de convenance ou de curiosité personnelle sans considération de ce que peut être l’intérêt supérieur de l’enfant ou plus généralement de celui de sa famille quant à la connaissance de ce lien biologique.
La place actuelle des expertises génétiques en matière de filiation est donc conforme à la conception du droit de la filiation français qui ne repose pas exclusivement sur la biologie, laissant une place importante aux modes d’établissement volontaire de la filiation et à la possession d’état. Il n’est donc pas envisagé de modifier le dispositif législatif actuel qui permet de ménager un juste équilibre entre le droit de faire établir en justice sa filiation biologique et le droit de chacun au respect de son intégrité corporelle et de sa vie privée.
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