Plus de 20 000 tests de paternité sont réalisés chaque année à l’étranger par des ressortissants français tandis que 1200 tests de paternité ADN sont autorisés par an par la justice française. Pourquoi autant de tests sont ils réalisés à l’étranger?
Les tests légaux représenteraient à peine 6% des tests réalisés en France
En France, la loi encadre strictement la pratique des tests ADN, un particulier ne peut avoir accès aux tests ADN légaux d’identification (dont les tests de paternité) que dans un nombre limité de situations :
- identification d’une personne décédée,
- à des fins de recherche scientifique,
- pour des raisons médicales précises
- ou dans le cadre d’une procédure judiciaire visant à l’établissement / la contestation d’une paternité, l’obtention / la suppression de subsides.
Nous n’avons pas trouvé de statistiques sur le nombre des tests ADN réalisés en France dans les trois premiers cas. Pour les tests de paternité, on sait que 1200 à 1300 tests ADN sont réalisés chaque année en France dans le respect du cadre légal, dans l’un des douze laboratoires agréés. Les tests de paternité légaux sont soumis à l’autorisation préalable d’un juge du tribunal de grande instance au terme d’une procédure onéreuse et assez longue (près de deux années).
Les tests de paternité les plus pratiqués en France concernent généralement des hommes souhaitant obtenir la garde ou un droit de visite de leur enfant ainsi que des femmes cherchant à obtenir des subsides pour l’éducation d’un enfant conçu hors mariage après la séparation du couple. Le test de paternité permet d’établir ou de contester légalement un lien de filiation, il en découle des droits ou obligations légales.
Où peut on faire un test de paternité à l’étranger ?
En Allemagne, en Belgique ou en Suisse, la Constitution garantit à chacun un droit à connaître ses origines génétiques, les tests ADN sont donc directement accessibles, mais l’information révélée par le test de paternité n’aura pas automatiquement de conséquences sur la filiation au sens juridique du terme.
Dans ces pays, tout comme en Espagne, au Canada et aux Etats-Unis, de nombreux laboratoires proposent via internet aux ressortissants français de réaliser leurs analyses ADN « par correspondance » : les cellules ADN sont prélevées à domicile par les participants au moyen d’un frottis buccal et envoyées discrètement par courrier au laboratoire qui réalisera le test ADN de l’étranger.
Ainsi, près de 20 000 tests de paternité sont ainsi réalisés chaque année en France ou presque. Les ressortissants français se déplacent à l’étranger pour le temps du test ou bien le commandent à distance.
1 enfant sur 30 serait un enfant adultérin
Le chiffre vous surprend ? Une étude publiée par la revue de langue anglaise The Lancet (en 2009) avait conclu qu’en moyenne, 1 enfant sur 30 n’était pas biologiquement issu de son père déclaré.
C’est ce qu’on découvert par hasard des chercheurs réalisant une étude sur le matériel génétique de familles sur plusieurs générations. Plusieurs enfants de leur échantillon présentaient des patrimoines incompatibles avec ceux de leurs parents déclarés et avaient ainsi dû être écartés du champ de l’étude.
Ce chiffre pourtant conséquent semble plus plausible que le chiffre de 10 à 20% qui fait l’objet d’une rumeur persistante depuis le rapport de Noëlle Lenoir au Parlement datant de 1991, au moment de la préparation des débats sur les lois de bioéthique (qui furent votées en juillet 1994).
Révélation des secrets de famille : enfance en danger ou chance de mieux se construire?
Les tests de paternité à domicile permettent d’apporter une réponse plus rapide que les tests ADN légaux, mais soulèvent de nombreuses questions éthiques. L’accès au test constitue-t-il un danger d’éclatement pour les familles? Les laboratoires ont constaté que les personnes participants aux test à domicile étaient dans des situations psychologiques familiales parfois plus complexes. Leur motivation serait moins l’obtention de certains droits / subsides mais la défense de la légitimité d’une place, d’un rôle au sein d’une famille ou bien la défense de son « honneur » ou d’une réputation, dans un effort de protection du cercle familial. L’obtention du résultat du test est vu comme la fin d’un épisode de mensonge qui empêchait les membres de la famille de se construire:
- les enfants eux-mêmes, des années plus tard, qui s’interrogent et se regroupent en fratrie, après la disparition de leur père, pour percer des secrets familiaux. Ils sont plus nombreux à participer aux tests: se rapprochant de leur oncles, tantes ou cousins. Dans de nombreux cas, les grands-parents paternels participent au test en lieu et place d’un père disparu.
- des hommes doivent se soumettre au test ADN pour se protéger d’accusations diffamatoires (la presse à scandale s’était délectée des cas de Justin Bieber ou encore de l’abbé Pierre) ou pour prouver les liens de leur sang et légitimer leur statut de père.
Les participants initient plus aisément les démarches nécessaires au test ; sont-ils suffisamment prêts à faire face aux conséquences des résultats de leur test? Le test réalisé en dehors du consentement du juge devrait-il être accepté comme un premier élément de preuve pour l’ouverture d’une procédure légale? La raison avancée par le législateur pour motiver l’encadrement de l’accès au test de paternité est la protection de l’enfant. Quelle décision prendrait l’homme qui a élevé un enfant pendant de nombreuses années s’il apprenait qu’il n’était pas le père biologique de l’enfant dont il est le père légal? Peut-on imposer une filiation à un père qui n’avait pas le projet d’avoir un enfant et qui n’a pas envie d’en avoir un aujourd’hui? La filiation n’est pas seulement un lien biologique, alors légaliser les tests ADN serait remettre en cause le rôle déterminant que nous accordons à cette « filiation affective ». Le droit reconnait désormais aux pères la notion de possession d’état: la paternité est établie sur la base des actes concrets d’un père envers son enfant tout au long de son enfance. Si le père a traité l’enfant comme le sien, s’il a pourvu à son éducation, lui a donné son nom, devrait-on laisser un test ADN défaire une filiation qui a été construite pendant des années ? Lequel des deux pères mériterait le plus d’être choisi: celui qui l’a élevé ou celui qui l’a conçu?
La recherche d’un équilibre entre les droits des enfants et de leurs parents
On peut se dire d’un autre côté : si la mère est sûre et certaine de sa maternité biologique, pourquoi ne pas donner au père la possibilité de l’être à son tour ? Certaines femmes sont angoissées à l’idée que leur enfant ait été échangé à la maternité. Si quelques pères éprouvent une inquiétude sur leur paternité, pourquoi ne pas leur donner l’occasion d’être rassurés? L’homme et la femme ne sont pas égaux dans la parenté, il est nécessaire de rechercher un équilibre entre leurs droits et celui de l’enfant. Sommes nous en droit d’empêcher des citoyens qui s’interrogent de tester leurs liens de descendance ou d’ascendance avec le risque de les laisser se gâcher la vie? Il est essentiel dans le processus de construction d’un enfant qu’il ne commence pas à vive pas sur la base d’un mensonge.
D’après Marie-Gaëlle Le Pajolec, directrice de l’IGNA, citée dans Le Figaro «La loi est impuissante à empêcher quiconque d’effectuer un test génétique. Alors, autant permettre de le réaliser dans un cadre réglementé qui garantirait la sécurité d’une double analyse, ce que de nombreux laboratoires étrangers s’épargnent pour limiter les coûts. Sans compter le manque à gagner pour leurs homologues français.»