Des plongeurs ont découvert le 31 aout 2016 des restes d’un jeune homme ayant péri dans le naufrage de son bateau en Grèce. Qu’apprendrons nous de l’analyse ADN de ce grec naufragé il y 2000 ans? Les scientifiques l’ont nommé Pamphilos, un nom grec assez répandu qui signifie « Aimé de tous », d’après le nom gravé sur une tasse retrouvée dans l’épave près de lui. Les scientifiques ne sont pas sûrs que ce soit son nom mais il y avait au moins sur le bateau un homme qui portait ce nom.
Nature nous a rapporté le 19 septembre 2016 les détails de cette incroyable découverte. Lire la publication complète en Anglais.
Une cargaison fantastique
Le lieu du naufrage était connu depuis 1900, des plongeurs d’éponges avaient découvert l’épave par hasard, par 50 mètres de profondeur. Les scientifiques savaient déjà que le navire était parti d’Asie Mineure, au cours du 1er siècle avant JC. Il était chargé de luxueuses marchandises, destinées à une riche clientèle romaine. Les archéologues ont déjà remonté de magnifiques statues de bronze et de marbre, des poteries finement décorées, des bijoux en or et un grand nombre d’objets en métal. Une incroyable machine de calcul astronomique avait même été remontée, elle est appelée le « mécanisme d’Anticythère » et permet de calculer la position des astres et de prévoir des éclipses. Cette cargaison était déjà considérée comme la plus spectaculaire depuis l’Antiquité avant la découverte ce jour de nouveaux fragments d’os contenant de l’ADN.
Il est tout à fait extraordinaire d’avoir retrouvé autant de fragments d’os d’un naufragé, car les vagues déplacent généralement les corps et les poissons font le reste. Les plongeurs ont retrouvé les os sous 50 cm de sable et de sédiments. Le naufrage a été extrêmement violent, pendant un orage, le navire a heurté les rochers devant les côtes d’Anticythère, une petite île située entre la Crète et le Péloponnèse. Le navire a plongé sous les vagues et s’est fracassé contre une falaise sous-marine, puis a été rapidement recouvert par les sédiments, de la vase et les roches tombées de cette falaise au moment de l’impact.
La mort a frappé les marins soudainement. Pamphilos, qui était soit un membre d’équipage, soit un passager. « Nous pensons qu’il s’est trouvé piégé dans les ponts inférieur du navire lorsque l’énorme navire sombra et il a dû être enterré très rapidement, sinon les os auraient déjà disparu » explique Brendan Foley, chercheur de l’institut « Woods Hole Oceanographic Institution » qui explore actuellement l’épave avec le Ministère Grec des Antiquités sous marines.
Des os suffisamment bien préservés pour l’analyse ADN
« C’est la découverte scientifique la plus extraordinaire que nous ayons faite sur ce site. » Il est assez amusant d’ailleurs d’entendre les cris de joie des trois plongeurs au moment où ils ont trouvé les os sur la vidéo de Nature.
Le squelette a été découvert en désordre: des os des bras, deux fémurs, deux morceaux de crâne dont un avec trois dents et des quelques côtes. L’équipe pense qu’il y a des os en dessous, mais n’a pas pu les récupérer sans risquer de faire s’effondrer le site de fouilles. Les os présentent une forte coloration rouge sombre, probablement due à l’âge de l’échantillon mais aussi à l’absorption par les os de fer provenant des nombreux objets enterrés à côté de lui. De nombreux os sont partis en poussière dès qu’ils étaient manipulés mais d’autres ont pu être transportés dans des sacs remplis d’eau de mer. Les os des jambes ont bien résisté et l’équipe espère pouvoir en extraire de l’ADN, à l’aide du spécialiste mondial de l’analyse de l’ADN ancien, Hannes Schroeder du Musée d’Histoire Naturelle du Danemark.
Pour en savoir plus : Voir la vidéo de la découverte.
Jacques Cousteau avait déjà remonté des ossements lors d’une expédition en 1976. Mais les archéologues à l’époque n’étaient pas équipés pour exploiter les os : il n’y avait pas d’analyse d’ADN comme aujourd’hui et l’ADN contenu dans ces os n’a pas été bien préservé pendant ces 40 dernières années.
Les restes humains ont commencé à devenir une source d’information incroyables sur notre passé. Même avec un seul individu, nous pourrions apprendre beaucoup de choses sur cet équipage: d’où ils venaient-il ? Qui étaient-ils?” C’était un énorme vaisseau pour son époque, de plus de 40m avec plusieurs ponts et de nombreuses personnes à bord.
Hannes Schroeder Tweet
Que nous révèlerait l’analyse génétique sur la vie de ces marins?
Les individus trouvés à Antikythera pourraient être ceux de l’équipage, probablement de 15 à 20 personnes pour un bateau de cette taille. Les vaisseaux grecs ou romains transportaient fréquemment des passagers et parfois des esclaves. S’ils étaient enchainés au fond d’une cale, cela expliquerait pourquoi ils se seraient trouvés piégés dans le bateau pendant le naufrage. L’équipage aurait réussi à s’échapper.
Les os retrouvés étaient entourés par des objets en métal rouillés non encore identifiés, c’est l’oxyde de fer qui a donné aux os retrouvés cette coloration rouge-marron. Schroeder explique qu’il est rare de disposer de restes humains anciens conservés dans l’eau, l’analyse d’ADN basée avec les techniques les plus modernes actuelles ont à peine été testées. Précédemment la technique de l’amplification par PCR avait été tentée sur des squelettes retrouvés dans des vaisseaux plus jeunes : celui du Mary Rose (XVIe siècle en Angleterre) and the Vasa (XVIIe siècle en Suède). Le plus gros risque est la contamination de l’ADN ancien par un ADN moderne. Les résultats de tests ADN antérieurs avaient été discutés car l’ADN prétendument ancien ne présentait pas suffisamment de marques de dégradation dues au temps par rapport à l’âge supposé de l’échantillon.
C’est pourquoi la découverte d’ Antikythera est si importante. Elle offre aux scientifiques la possibilité d’extraire de l’ADN dans les meilleures conditions possibles. Des os trouvés il y a des années ne sont pas idéaux pour une analyse aujourd’hui, car ils ont souvent été lavés et traités avec des produits conservateurs, stockés à une température trop élevée (on sait maintenant que tout ceci peut détruire le fragile ADN), ou bien contaminés par l’ADN des personnes qui les ont manipulés.
Schroeder a deviné que Pamphilos était un jeune homme d’une vingtaine d’années
L’observation des os déjà permis d’avancer quelques hypothèses : le fémur était assez robuste, que la partie haute de l’os indiquait que c’était un garçon. La pointe des dents ne présentaient que très peu d’usure, il en déduit que l’homme était âgé de 25 ans tout au plus.
L’ADN des os permettra de confirmer le sexe et des caractéristiques physiques telles que la couleur de ses yeux et de ses cheveux. Il donnera des informations sur sa lignée ancestrale et son origine géographique. Depuis le séquençage moderne du génome ces quelques années, on apprit à suivre le déplacement géographique des populations en étudiant leurs variations génétiques. Le sujet passionne Schroeder et ses collègues. S’ils récupéraient une séquence complète d’ADN, ils pourraient comparer des profils ADN anciens connus à celui de Pamphilos pour déterminer s’il était plutôt d’origine italienne-grecque, d’Afrique du Nord, du Levant (Proche orient) ou de la Mer Noire? Ils pourraient apprendre « qui étaient ces personnes qui traversaient la Méditerrannée il y a 2000 ans ? Et si l’un d’entre eux était l’astronome qui avait inventé ce fameux mécanisme de calcul de la position des planètes ? »
Schroeder ne travaille pas tout seul : Mark Shriver, Anthropologiste à l’Université de Penn State cherche comment on peut déduire des caractéristiques faciales à partir de l’ADN Voir l’étude publiée dans Plos Genetics le 20 mars 2014 « Comment modéliser les visages en 3D par l’ADN ». Si les os ont été bien préservés, nous pourrons glaner au moins quelque détails sur le visage de notre sujet. « S’il était sous une couche suffisante de vase, il y a un véritable potentiel. Les résultats des analyses d’aujourd’hui sur de l’ADN ancien sont impressionnantes comparées à ce que l’on pouvait voir il y a cinq ans » explique-t-il « En connaissant seulement le sexe et l’ascendance d’un sujet, vous pouvez déduire le quart des variations possibles des caractéristiques de son visage.