Débat: Pour ou contre un accès libre aux tests génétiques?

accès libre aux tests génétiques ADNQuelle est la position de nos hommes politiques, du corps médical, dans le débat sur l’accès libre aux tests génétiques pour convenance personnelle? Pour démêler le vrai du faux, nous avons commencé à rassembler les propos publiés, en vous présentant leur propos dans leur intégralité dans la mesure du possible.

9 avril 2009 – Avis du Conseil d’Etat du la révision des lois de bioéthique

Voici des extraits la partie de l’étude du Conseil ayant trait à identification des personnes par empreintes génétiques à des fins d’établissement de la filiation

« L’établissement des empreintes génétiques d’une personne permet son identification par certaines singularités uniques, propres à son génome. L’établissement des empreintes génétiques repose sur l’analyse d’une combinaison de marqueurs génétiques quasi spécifiques d’un individu donné, transmissibles et stables d’une génération à l’autre. Ces analyses permettent l’établissement d’une filiation biologique, paternelle ou maternelle, à partir de la comparaison entre le profil d’ADN d’une personne et celui de son ou de ses ascendants. Ces analyses donnent des résultats plus précis que l’examen comparatif des sangs, […]

Des conditions particulièrement strictes justifiées par la préservation de la « paix des familles »

La loi du 29 juillet 1994 a enserré l’identification des personnes par empreintes génétiques dans des conditions strictes . En dehors du champ médical et de la recherche, cette identification n’est possible que dans deux cas de figure : dans le cadre d’une procédure pénale rendant nécessaire une mesure d’enquête ou d’instruction ; et dans le cadre des actions civiles limitativement énumérées par l’article 16-11 du code civil : établissement ou contestation d’un lien de filiation, obtention ou suppression de subsides. Dans ce dernier cas de figure, le test génétique de paternité doit être autorisé par décision du juge, après consentement exprès des personnes soumises aux tests, et il ne peut être réalisé que par un expert agréé à cette fin.

Le caractère restrictif de cette législation s’explique par la volonté du législateur de ne pas favoriser la banalisation des tests génétiques de paternité, pratique qui porte potentiellement atteinte aux principes de stabilité et d’indisponibilité de la filiation. Plus largement, l’objectif du législateur était, en enserrant le recours à cette technique dans des conditions limitatives, de limiter les risques d’atteinte à la vie privée et à la « paix des familles ».

La prudence du législateur est sage car il est difficile de trancher entre les attentes contradictoires qui s’expriment dans notre société, les unes visant à mieux reconnaître les filiations affectives, les autres reposant au contraire sur le primat de la filiation génétique.

Le législateur a adopté dans le même temps les dispositions pénales permettant de sanctionner le non-respect des conditions ainsi posées. L’article 226-28 du code pénal punit d’un an d’emprisonnement et de 1 500 euros d’amende le fait de « rechercher l’identification par ses empreintes génétiques d’une personne» en dehors des cas et procédures prévues par la loi. Ces dispositions sont applicables aux laboratoires qui procéderaient sur le sol français à des analyses en dehors des hypothèses légales. Elles sont a priori également applicables au particulier qui fait réaliser un test de filiation en dehors des mêmes hypothèses, car une telle démarche amène nécessairement l’intéressé à « rechercher l’identification par ses empreintes génétiques d’une personne» – en l’occurrence de deux personnes : lui-même et la personne à l’égard de laquelle il souhaite faire établir l’existence ou l’absence d’un lien de filiation. La circonstance que pour ce faire, le particulier recourrait aux services d’une entreprise installée à l’étranger ne supprime pas l’élément matériel de l’infraction, qui est constitué dès lors qu’il est procédé à une recherche d’identification par empreintes génétiques, quelle que soit la localisation du fournisseur du service.

La loi du 6 août 2004 a ajouté à cet ensemble des dispositions régissant la pratique des tests de paternité post mortem. À la suite de l’arrêt dit « arrêt Montand » de la Cour d’appel de Paris (6 novembre 1997), le législateur a introduit à l’article 16-11 du code civil la prohibition de toute identification par empreintes génétiques d’une personne décédée, sauf accord manifesté par celle-ci de son vivant. L’ordonnance du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation, ratifiée par la loi du 16 janvier 2009, n’a pas apporté de précision sur l’utilisation des tests génétiques dans le contentieux de la filiation. Seul le second alinéa de l’article 310-3 édicte un principe général selon lequel, dans les actions judiciaires, la filiation se prouve et se conteste par tous moyens, sous réserve de la recevabilité de l’action. Cette ordonnance peut toutefois avoir un impact sur le recours à ces expertises, dans la mesure où elle a pour effet, selon les cas, d’allonger les délais des actions (actions en recherche de paternité et en contestation de la paternité du mari), ou de les réduire (actions en recherche de maternité et en contestation de la reconnaissance). Simultanément, les critères jurisprudentiels de recours à ces tests ont été assouplis. Jusqu’en 2000, le juge civil examinait d’abord si l’action présentait un intérêt, en se fondant notamment sur l’intérêt de l’enfant et la présentation d’éléments de conviction suffisants, avant de prescrire le recours aux tests de paternité ; par une série d’arrêts des 28 mars et 30 mai 2000, la 1re Chambre civile de la Cour de cassation a renversé cette logique en posant le principe selon lequel « l’expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s’il existe un motif légitime de ne pas y procéder». Et, quand bien même l’évolution jurisprudentielle sur ce point ne semble pas achevée, la Cour de cassation s’est montré jusqu’à ce jour exigeante dans la caractérisation du motif légitime pouvant être retenu par les juges du fond à l’appui d’un refus de l’expertise, sans permettre à ceux-ci de se fonder de façon générale sur les présomptions et indices invoqués à l’appui de la paternité (1re Civ., 28 mai 2008).

Le dispositif juridique ainsi remodelé entraîne la mise en œuvre de tests de paternité à la demande du juge à raison d’environ 1 500 expertises annuelles, chiffre qui apparaît relativement stable ces dernières années. La mise en œuvre de la loi se heurte cependant au développement international de l’offre de tests et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

Parallèlement à ces tests effectués dans le respect des dispositions légales, les pouvoirs publics constatent le développement de l’offre de tests de paternité sur internet en provenance de laboratoires suisses, espagnols, anglais, allemands ou roumains, pays dans lesquels la législation est plus souple qu’en France. S’il est assurément délicat d’avancer un chiffre concernant le recours à ces tests clandestins depuis la France, un expert judiciaire près la Cour de cassation avait en 2007 évalué ce chiffre à au moins 10 000 tests par an. La politique de prix de ces sociétés rend ces tests abordables au regard des offres « légales », puisque le prix d’une demande sans urgence via un site étranger est compris entre 200 et 500 euros, alors que le coût d’une analyse réalisée en France par un laboratoire agréé après décision judiciaire est de 300 euros.

La valeur juridique de ces tests « sauvages » est assurément nulle, le juge devant écarter un élément obtenu à la suite d’une fraude à la loi. Mais ils peuvent avoir des incidences lourdes sur la vie familiale, en conduisant ceux qui en ont pris l’initiative à engager des actions en contestation ou désaveu de paternité, alors d’ailleurs que la qualité et la fiabilité de ces tests n’est pas toujours garantie. La question se pose donc de savoir si le droit français doit évoluer pour prendre en compte la pratique de tests sauvages qui se développe et essayer d’encadrer cette pratique pour limiter les effets délétères qu’elle pourrait avoir sur les situations familiales. » […]

Propositions d’évolution de l’accès libre aux tests génétiques

Les éléments de fait et de droit rappelés ci-dessus conduisent à s’interroger sur la nécessité et l’opportunité de modifier la législation nationale sur plusieurs points:

pour ou contre un accès libre aux tests génétiquesLa première interrogation porte sur l’idée d’ouvrir la possibilité d’identification génétique sur décision du juge dans le cadre d’autres actions que les actions en matière de filiation et de subsides : par exemple actions successorales, litiges d’assurance-vie (pour vérifier que le bénéficiaire est bien l’enfant de l’assuré), divorce (pour établir la réalité de l’adultère). On pourrait estimer en effet que les objectifs poursuivis à travers de telles actions sont aussi légitimes que ceux actuellement prévus par la loi et justifient donc eux aussi de recourir à cet instrument de preuve. D’une manière générale, une telle modification risquerait cependant de créer des situations inextricables, en raison notamment des délais d’action en matière de filiation, dont certains ont été resserrés, précisément dans un but de sécurisation du lien de filiation, par l’ordonnance du 4 juillet 2005 déjà citée. Lorsqu’une action en filiation est exercée dans le respect des délais rappelés supra et aboutit à une modification de l’état civil, elle peut produire par ricochet des effets en matières successorales, matrimoniale ou assurantielle, sans que la loi ait besoin de permettre le recours aux tests génétiques à ces dernières fins. Mais si une action fondée sur le recours aux empreintes génétiques pouvait être entreprise dans l’une de ces trois matières, hors des délais valant pour l’action en filiation, qu’adviendrait-il de la filiation des intéressés ?

On voit que, dans des litiges successoraux ou relatifs à l’assurance-vie, les effets patrimoniaux qui s’attachent à la reconnaissance de la filiation ne peuvent être traités pour eux-mêmes et dissociés de la revendication de l’état consistant à être fils ou fille d’un défunt.

Dans le cadre d’un divorce, l’autorisation d’un recours aux empreintes génétiques hors des délais de l’action en filiation, et alors que la filiation figurant à l’état civil ne pourrait être remise en cause, conduirait à des situations intenables au plan familial et sociétal. Un tel accès à une preuve biologique dont ne pourrait être tirée aucune conséquence juridique en matière d’état de la personne aurait inévitablement pour conséquence d’entraîner la modification des conditions d’action en matière de la filiation. La filiation perdrait l’autonomie qui doit être la sienne par rapport aux vicissitudes qui affectent les relations entre les personnes et à leurs enjeux patrimoniaux.

Contrairement aux choix fondamentaux qui ont été ceux du législateur de 1994, la dérive vers une biologisation de filiation, avec ce qu’elle comporte d’insécurité pour les filiations établies, serait inéluctable. C’est pourquoi l’interdiction du recours aux empreintes génétiques dans des actions civiles autres que les actions concernant la filiation doit être fermement maintenue.

Une seconde possibilité consisterait à dissocier la connaissance des origines de l’établissement de la filiation et à autoriser, avec ou sans le contrôle du juge, la réalisation par les particuliers de tests destinés à la connaissance de leur ascendance, en précisant que les résultats de tels tests, réalisés hors la procédure prévue par l’article 16-11, seraient insusceptibles de produire quelque effet juridique que ce soit. Il s’agirait, en quelque sorte, de régulariser la pratique des tests clandestins en empêchant tout effet perturbateur sur l’application des règles de filiation

Permettre la réalisation de tels tests de façon unilatérale par seulement l’une des deux personnes concernées devrait en toute hypothèse être exclu, compte tenu des bouleversements que les résultats des tests peuvent apporter dans l’équilibre familial. »

[…]

« Le seul modèle alternatif non entaché d’incohérence juridique consisterait à permettre le recours aux tests génétiques à tout moment de la vie pour toute action légitime, sous le contrôle du juge, avec l’accord des deux intéressés, et à prévoir que la preuve ainsi apportée devrait entraîner la modification de l’état civil avec toutes conséquences de droit. Mais il s’agirait là d’un changement radical de philosophie, qui réduirait considérablement la portée de la possession d’état et irait à contre-courant de l’orientation privilégiée par la réforme de 2005. Le simple fait qu’existe une offre de tests accessible notamment par internet ne saurait justifier un tel bouleversement. »

Consulter le texte intégral de l’étude du Conseil d’Etat sur la révision des lois de Bioéthique.

8 décembre 2009- Avis de l’Académie de médecine sur la « Diffusion et validation des tests génétiques en France »: pour un accès libre aux tests génétiques

Voici des extraits du rapport expliquant leur position sur la question du test de paternité et des tests génétiques pour convenance personnelle:

« L’analyse du génome à des fins biométriques (empreintes génétiques) est en France strictement réglementée et comporte deux aspects : les applications judiciaires et les tests de paternité ; le recours aux tests de paternité pratiqués à l’étranger dans des conditions techniques non contrôlées, le plus souvent via Internet, est devenu très fréquent. »

« De nombreuses institutions françaises (Conseil d’Etat, CCNE, Conseil National de l’Ordre des Médecins, INSERM…) et communautaires (Conseil de l’Europe, OCDE, UNESCO…) se sont penchées sur les questions posées par la diffusion des tests génétiques. Toutes partent d’un constat commun: les progrès techniques en génétique, la diminution du coût des examens, les facilités de communication et le désir croissant des individus de mieux connaître leurs origines et leur avenir font qu’il est illusoire de s’opposer à la diffusion des tests génétiques et à un marché en pleine expansion. On ne peut qu’encadrer, informer et faire en sorte que l’anonymat et la volonté des personnes soient respectés au maximum. La révision des lois de bioéthique devrait permettre d’adapter la législation aux évolutions des techniques et de la société. »

Un accès libre aux tests génétiques médicolégaux et test de paternité ?

« L’utilisation du génome à des fins biométriques (voir le rapport de l’ANM) repose sur la notion qu’à l’exception des jumeaux monozygotes, tous les humains ont un génome sensiblement différent en raison du polymorphisme génétique. Pour des raisons de facilité technique, de coût et surtout de sensibilité grâce à la PCR, les méthodes biologiques classiques ont été supplantées par l’analyse de l’ADN, c’est-à-dire par la détermination des « empreintes génétiques » : d’abord étude des VNTR (« Variable Number of Tandem Repeats »), puis des microsatellites ou STR ( Short Tandem Repeats ).

Les STR actuellement utilisés pour établir le profil génétique d’un individu ont été standardisés à l’échelon international ; ils ont été choisis pour avoir une fréquence équilibrée des différents allèles et sensiblement identique d’un groupe ethnique à l’autre. Différents « kits » commerciaux sont disponibles sur le marché ; ils testent simultanément 11 à 16 microsatellites indépendants et localisés sur les autosomes, les produits d’amplification étant ensuite séparés par électrophorèse capillaire et identifiés en jouant sur la nature des fluorophores et la taille des fragments.

L’analyse génotypique à des fins d’identification est en France un acte de médecine légale strictement réglementé, qui ne peut être pratiqué que par des laboratoires et des biologistes agréés et ceci dans des circonstances définies par la loi. Les applications judiciaires (vols, crimes, agressions sexuelles…) sont les plus fréquentes, la deuxième application étant celle des tests de paternité. La puissance et la fiabilité de ces méthodes sont telles qu’elles sont considérées comme sûres à 100 % lorsque l’on dispose d’un élément de comparaison, comme dans le cas des tests de paternité. En ce qui concerne ces tests, le dispositif juridique actuel autorise environ 1 500 expertises annuelles. Le dispositif légal français est sans doute une quasi-exception, les contraintes réglementaires étant beaucoup plus souples en Suisse, Espagne, Angleterre, Allemagne…. Aux États-Unis les « kits » pour effectuer ces tests sont en vente libre. Le recours à ces tests étrangers depuis la France et le plus souvent via Internet, a connu un développement important, un expert près de la cour de cassation ayant évalué en 2007 cette activité à environ 10 000 tests par an (pour un prix compris entre 200 et 500 euros par examen). La distorsion entre les deux chiffres précédents (1 500 et 10 000) justifierait une révision de la procédure réglementaire dans notre pays. »

En conclusion, l’Académie nationale de médecine recommande de :

–  « mettre en garde le public vis-à-vis des tests de convenance personnelle tels qu’ils sont proposés actuellement par des sociétés commerciales. Les renseignements fournis ont une valeur prédictive faible ou nulle, même s’ils sont accompagnés de commentaires médicaux. »

– « demander une harmonisation au plan européen le contrôle de l’ensemble des laboratoires afin qu’ils obéissent tous à des exigences communes de qualité technique. »  Un réseau européen, EuroGentest et Orphanet, s’attachent à l’accréditation des laboratoires (mise en place d’une norme ISO en 2001). Le processus d’accréditation sera obligatoire en France en 2016.

– « demander aux pouvoirs publics de définir une position vis-à-vis des demandes de tests de paternités effectués à l’étranger. On doit attirer l’attention de l’opinion sur les erreurs possibles d’analyses provenant de laboratoires peu ou pas contrôlés et sur la nécessité de faire confiance uniquement aux laboratoires français ayant l’agrément des autorités de tutelle. »

Consulter le rapport complet « Diffusion et validation des tests génétiques en France » par l’Académie de Médecine

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